Tancrède Batignoles : démission ?

L'Empereur avait été particulièrement surpris lorsque le matin du 23 Izaleninel, le Grand-Électeur, également Ministre de l'Instruction, de la Culture et des Valeurs républicaines (cette dernière dénomination ne pouvant que lui donner des boutons), le Comte Armand de La Croix de Salignac, lui avait transmis une lettre cachetée du Ministre de l'Intérieur et de la Justice, Tancrède Batignoles. Celle-ci lui indiquait en quelques mots que ce membre du Gouvernement avait décidé de démissionner. Il n'y avait pas de justification apparente. Juste une ligne. Le Ministre de l'Intérieur et de la Justice était toujours en Eslagne, ayant été maintenu dans sa fonction décentralisée où l'avait envoyé feu l'ex-Empereur voilà un an, afin d'y ramener l'ordre. Et l'ordre était désormais ramené. C'est donc pourquoi, dès l'instant où il avait reçu cette lettre, l'Empereur avait de suite fait transmettre par le Grand Chambellan du Palais Impérial et Premier ministre, le Duc Etzel Ito de Varsalance un télégramme demandant au Ministre de l'Intérieur et de la Justice de se présenter pour le lendemain à Elbêröhnit, au Palais Impérial. Sachant que de toute manière, il lui faudrait bien prendre plus d'une journée pour revenir, il était déjà plus de vingt-deux heures ce 24 Izaleninel et l'Empereur continuait de travailler ses dossier dans l'attente qu'on lui annonce que le Sieur Batignoles était arrivé et demandait à être reçu.

L'Empereur regarda son horloge. Il était vingt-deux heures dix. Celui qui était encore Ministre de l'intérieur et de la Justice tant que Sa Majesté n'avait pas accepté sa démission s'était donc présenté comme le lui avait demandé l'Empereur. Celui-ci sourit à son Ministre et l'accueillit chaleureusement :

- Ah Baitgnoles, commença l'Empereur, qui comme son père, appelait les membres de son entourage par leurs seuls noms de famille depuis qu'il avait revêtu la pourpre. Vous voilà donc. Bienvenue ! Cela faisait combien de temps que vous n'aviez Elbêröhnit ? Un an ? Plus, non ? Je ne crois pas me tromper...

Il ménage un temps d'arrêt et continua, jaugeant ce Ministre dont il ne savait s'il était plus proche du parti républicain ou du parti impérial :

- Vous avez fait du bon travail en Eslagne. Oh bien sûr ! Il aurait été impossible d'empêcher l'insurrection après la Fronde d'Elbêröhnit mais vous étiez tout proche de réussir. Et une fois cela, vous êtes resté à Beneline pour rétablir l'ordre : avec succès. Je sais que mon père vous trouvait... comment dire... trop... « dur ». Pour ma part, je pense que vous êtes l'homme adéquat pour le Ministère de l'Intérieur et de la Justice. L'homme adéquat pour restaurer l'ordre, la stabilité et la sécurité.

L'Empereur fronça alors les sourcils et levant les paumes vers le ciel, il dit :

- Alors, pourquoi démissionner, Monsieur Batignoles ?

L'Empereur regarda attentivement Batignoles, toujours Ministre de l'Intérieur et de la Justice, puisqu'il n'avait pas accepté sa démission pour l'instant. Il souhaitait revoir sa famille qui lui manquait alors que depuis un an il ne l'avait pas vue. D'ailleurs, il était persuadé qu'il n'avait pas encore eu le temps des retrouver les siens depuis qu'il était de retour à Elbêröhnit. Il était comme les tous les soldats, tous les généraux de l'armée. Fatigué d'avoir à passer un temps très long loin de son foyer, loin des siens. Il était vrai que l'Empire avait connu beaucoup de guerres depuis son rétablissement voilà presque six ans maintenant, la Guerre Civile terminée. D'abord, la Guerre de Réunification pour reprendre Ardanie et Eslagne à la fin de l'année 2708. Puis au début de l'année 2709, une campagne coloniale pour prendre possession, d'abord de l'Ismarkie, et ensuite de l'Alaïenie. Enfin, la Guerre de la Ligue d'Augsbourg en 2710, qui s'était terminée par l'occupation de la majorité de la Germanie, avant que la Guerre d'Indépendance de Germanie ne rétablisse ses souverains sur leurs trônes en 2711. Puis, en 2712, il y avait donc eu la Fronde d'Elbêröhnit qui avait déclenché la Guerre de Sécession. Et une nouvelle fois un conflit avec les Germains en 2713 lors de la Guerre de Germanie, terminée par une nouvelle victoire. Il comprenait son père désormais. Celui-ci lui avait toujours dit avoir l'impression d'être obligé de se battre en permanence, d'avoir à lutter et à faire la guerre sans arrêt, sans répit. Et maintenant que les pays du nord novoterranoviens se faisaient dangereux, maintenant que la guerre avec la Grande-Albion paraissait inévitable, maintenant que le Despotat d'Al-Harkoum se faisait plus agressif, maintenant il comprenait ce qu'il voulait dire. Le Belondor serait donc toujours obligé de se battre, jamais définitivement en paix... Sortant de ses pensées, il fixa silencieusement Batignoles et lui dit :

- Vous n'aurez pas à démissionner, Monsieur le Ministre. Votre mission à Beneline est arrivée à sa fin. Il n'y a rien de plus que vous ne puissiez faire. Vous resterez ici, à Elbêröhnit. On s'arrangera pour faire venir vos affaires depuis Beneline, le plus vite possible. Ainsi, vous pourrez jouir de vos proches, tout en continuant à travailler.

S'arrêtant pour fixer le Ministre qui n'avait pas cillé, il termina en lui disant :

- Cela vous convient-il ?

Satisfait d'avoir convaincu le Ministre de l'Intérieur et de la Justice de conserver son poste, l'Empereur lui dit :

- Très bien, Batignoles. Qu'il en soit donc ainsi. Vous pouvez disposer.