Rendez-vous avec son Excellence le Duc Etzel de Varsalance!

Dans son vaste bureau, le Duc Etzel de Varsalance, encore secoué par les remous familiaux qui avaient ébranlés les Ministères Impériaux, tâcha de se remettre au travail, rattrapant tous les dossiers qui avaient du être mis en suspens durant plusieurs jours. Bien évidemment, il gardait en tête qu'il ne pourrait pas tout gérer en une seule journée et qu'il lui faudrait très probablement une semaine entière pour pouvoir disposer d'un agenda plus conciliant.

Néanmoins, la venue du renommé François-Marie Mystel était prévue, programmée, et aucun cas, le Ministre n'oserait se permettre de décaler sine die le rendez-vous qui pourrait avoir lieu sur l'instant. Reprenant une dernière fois sa copie, il osa un regard pensif vers l'horloge qui lui faisait face et eu un sourire amusé ; sans nous doute son invité trouverait-il la pièce- pourtant de collection, bien fade et sans une beauté mécanique certaine.

Se levant d'un bond de son fauteuil en cuir, le Duc rajusta comme à l'accoutumée, un veston toujours trop serré, dans l'espoir que son ventre disgracieux ne disparaisse quelque peu sous les couches successives de vêtement. Le goitre enflé, sans doute en raison de sa relative nervosité, le cou rougit par les frottements avec sa chemise pourtant soyeuse, il prit alors la peine d'aller personnellement accueillir le Sieur Mystel.
Le salon dans lequel se dernier attendait patiemment, servait généralement d'échappatoire à nombres de personnes venues demander une audience au Ministre et qui souhaitaient ensuite sortir sans se faire voir par leur successeur ; l'utilisation généralement précipitée du salon expliquait donc en grande partie son agencement somme toute modeste, bien que décoré à l'image d'un Ministère toujours plein de ressource.

Ouvrant la porte coulissante, le Duc aux nombreuses fonctions se présenta alors à son interlocuteur, lui présentant une main manucurée avec grand soin, bien que grasse à l'instar de son corps entier :

" Monsieur Mystel, je suis ravi d'enfin pouvoir vous rencontrer ; j'espère que vous n'avez pas eu à attendre trop longtemps mais j'ai malheureusement beaucoup de travail et j'espère pouvoir m'en décharger d'ici peu - vous êtes d'ailleurs là pour ça. "

Appuyant sa phrase d'un sourire amusé, il convia alors son interlocuteur à entrer, avant de refermer la porte derrière lui.

Quelques instants à peine après mon arrivée, je fus surpris par l'aparition du Duc en personne. Celui-ci venait d'ouvrir une porte coulissante que je n'avais pas encore repérée.

Bien que souriant, il avait une mine soucieuse, surement à causes d'une nuit blanche à travailler au Ministère...

Après quelques formules de politesses, nous entrâmes dans son bureau. Je fus surpris par la décoration plutôt austère de la pièce, je m'attendais à un bureau richement décoré en rapport avec la position de mon hôte!
Cet aménagement plutôt sobre était rehaussé par une horloge, sans doute un bien familial au vue de l'ancienneté de l'objet.
Je pris soin de noter ce détail. Une horloge n'est pas la chose la plus difficile à fabriquer, si un jour j'avais un peu de temps libre...

... le retour à la réalité s'impose mon cher François Marie, cesse donc de te montrer curieux!
C'est ainsi que je me rappela à la raison devant la mine interrogatrice du Duc qui me proposais de m'assoir et me demandait si je voulais boire.



Veuillez m'excuser, je prendrais la même chose que vous Votre Excellence.
Je suis assez surpris, moi qui m'étais retiré de la vie publique et de la direction au jour le jour de mon entreprise depuis maintenant trois mois, ... mais au fait vous n'êtes peut-être pas au courant de tout ceci?

Je me suis brisé la jambe il-y-a trois mois lors d'une chasse organisée par l'un de mes client à laquelle j'étais convié suite à une montre à gousset dont je suis particulièrement fier...
Bref, le résultat n'était pas celui que j'espérais, mes médecins m'ont fortement conseillé de rester au lit pendant toute la durée de la cicatrisation définitive... sans quoi, j'aurais fort bien pu devenir boiteux! A mon âge, cela aurait été fort regrettable! Et aurait fortement compromis mes chances de trouver une alliance respectable!

Je me suis à peine remis il y a 15 jours de cela au travail quand j'ai reçu votre lettre m'enjoignant de venir vous rencontrer! J'en fus réellement flatté, moi qui ne pensais pas être connu en si haut lieu!

Bien, assez discuté de choses mondaines!
Je pense que nous connaissons tout deux la valeur du temps et je suis sûr que vous avez bien d'autres choses à faire!
Parlez moi de la raison qui vous a fait me convoquer!
J'ai cru comprendre que c'était à propos du Conseil Impérial n°VI du 16 Izaleninel dernier...

Le Duc ne buvait jamais d'alcool durant la semaine de travail, sous doute afin de ne pas paraître trop dépendant à une quelconque boisson addictive. Il prit donc deux verres en cristal et y versa du tonic, ce qui aurait pour but de stimuler sans pour autant faire avoir des bouffées de chaleur.

Dès lors les boissons servies, il prit la peine de s'installer derrière son vaste bureau et y posa sur des sous-verre en ivoire les concoctions. Tout en écoutant avec réserve et curiosité son interlocuteur, le Duc ne semblait pas réagir, comme s'il était tout à fait absent de la discussion ; son côté flegmatique lui avait conféré au niveau politique les plus hautes responsabilités, car il dégageait un aspect mystérieux conduisant à une relative confiance dans les échanges et les confidences et les Dieux savaient qu'en politique, savoir garder sa langue était un précieux atout.

Dès lors que Sieur Mystel eut fini son exposé et laissé le champ libre en vue d'une réponse, le Ministre sauta donc sur l'occasion pour définir clairement ses attentes, après avoir écarté de façon liminaire sa satisfaction de voir son interlocuteur sur pied.

" Comme il a été dit dans ma demande de rendez-vous, l'Empereur a fixé des objectifs très clairs liés au développement et à la modernisation des infrastructures.

Mystel SA me semble être une enseigne assez prestigieuse et sérieuse pour pouvoir travailler avec l'Etat sur le long terme. Nous allons avoir besoin d'au minimum dix horloges murales faisant au moins deux mètres de diamètre, sans compter sur la création de nombreuses horloges en vue de fournir les bâtiments publics et les administrations.

Bien évidemment, un délai assez large sera prévu en vue de faciliter votre travail. La mise en place de ces infrastructures prendra plusieurs mois voire même années et vous aurez ainsi tout le loisir de calquer votre agenda avec le nôtre. Tout ce qui est attendu est une fiabilité hors paire, afin que l'Empire soit partout à la même heure à chaque instant.

Pensez-vous être capable de ceci ? "

Après avoir écouté le Duc avec vigilance, je fus rassuré par le cahier des charges qu'il venait de me présenter! Dix horloges murales de deux mètres de diamètre? C'était somme toute plutôt "simple" comme travail... Le problème venait de sa dernière phrase....


Votre Excellence, si je ne me sentais pas capable d'un tel travail, je ne mériterais pas de porter le nom de Mystel!
Le défi à toujours était un stimulant de ma propre carrière et des découvertes de feu mon père!
Je puis vous assurer que la taille des horloges compte très peu, le problème est donc de réaliser des horloges ayant peu ou prou la même heure que l'on soit à Elbêrönit ou bien en Nouvelle-Argentorate c'est bien cela?
Voyez vous, le problèmes avec les mécanismes que ma société ou mes concurrents avons réussis à mettre en place est que les mécanisme doivent être re-reglés tout les jours.
Par exemple, vous avez surement une montre de gousset? Et bien le mécanisme est le même pour les horloges, tous les jours, celles-ci prennent une heures et quelques minutes de retard et il faut donc intervenir manuellement.
Il serait donc impératif d'engager du personnel pour cette tache dans tout l'Empire. Ou de former quelques fonctionnaires à cette tache dans les lieux où seront installées les horloges.

Pour ce qui est du délai, je pourrais être bien plus rapide que vous ne l'exigez! La fabrication d'horloge n'est pas de la même complexité qu'une montre donc est plus rapide. De plus la formation de mes apprentis touchent justement à leur fin.

J'ai néanmoins une faveur! J'ai décidé d'organiser un après-midi dans ma propriété d'Elbêrönit pendant laquelle mes plus belles oeuvres et des démonstrations seront proposées pour le plaisir des yeux.
Je pensais convier l'Empereur lui-même à venir contempler nos oeuvres ainsi que les grands noms de l'Empire.
Néanmoins, il me faudrait un parain officiel qui serve de garant à mon exposition. Je serais honoré que vous acceptiez ma proposition!
Votre présence serait une marque d'honneur et aiderait grandement à la réussite de notre projet!

Comme à son habitude, le Duc avait tiré une feuille de papier, prit une plume avec son réservoir à encre et prit quelques notes, de façon consciencieux, montre de son écoute et de son intérêt particulier aux propos de son interlocuteur. En tant que Ministre, chef de projet de ce vaste plan de modernisation et de développement, il se devait être sur tout les fronts afin de ne pas gaspiller l'argent de l'Empire et assurer la réussite de l'entreprise tout en pouvant bénéficier des retombées populaires par la suite.

A plusieurs reprises au cours de l'exposé il fit la moue ou eut un sourire mais jamais il n'interrompit l'horloger, comme le protocole qu'il se fixait le prévoyait. Ainsi, lorsqu'il eut son droit de réponse, il intervint un sourire ravi aux lèvres.

" Je ne pourrais en aucun cas me permettre de parler au nom de l'Empereur, bien qu'en tant que Chancelier de Leurs Majestés Impériales, j'ai en charge son emploi du temps, mais je ne manquerai pas de lui en parler et si son agenda le lui permet, j'ose espérer qu'il ira avec plaisir.
Quant à moi, n'ayez crainte, je serai ravi d'être votre parrain officiel et je vous remercie d'avoir pensé à moi pour une si prestigieuse exposition, à n'en point douter. "

Prenant son verre de tonic, il porta son verre et trinqua au succès de la démonstration avant de prendre une gorgée tonifiante. Enfin, il reprit, visiblement plus sérieux :

" Concernant votre explication quant-aux horloges, je suis quelque peu gêné de voir qu'il faudra effectuer chaque jour les remises à l'heure et ce, partout dans l'Empire. A terme, il pourrait bien y avoir dix milles horloges, imaginez donc ce travail faramineux et extrêmement couteux, sans encore parler de l'entretien que nécessiteront ces pièces. "

Appuyant ceci d'un sourire poli, il poursuivit :

" Comme vous dites, le défi a toujours été un stimulant, et je vous en propose un qui pourrait fournir à votre entreprise une renommée intercontinentale. Parvenez à mettre en place un mécanisme fiable, permettant d'éviter les remises à l'heure quotidiennes et l'industrie de l'horlogerie sera révolutionnée laissant votre nom dans l'histoire de cet art mécanique.
Si les tailles des pièces ne comptent pas, voilà un souci écarté ; vous aurez alors tout le loisir de les travailler comme des pièces uniques, le but étant que chaque jour, les usagers ne lisent pas l'heure, mais admirent une machine tant utile qu'esthétique ; tant fiable que jalousée par les ménages.

Et n'ayez crainte ; l'Empire saura sûrement financer vos recherches si vous en éprouvez le besoin, cela vous fera un coup monétaire certain en moins et ne sera qu'à votre entier bénéfice. "

Le Ministre avait lancé un appât tentant, tout homme d'affaire qui se respectait aurait évidemment sauté sur l'occasion. Travailler avec l'argent public et tenter d'innover sans se soucier des coûts, voilà une aubaine ! Malgré tout, le raffinement de la pensée d'un maître horloger était bien plus grande que celle d'un simple industriel du rail ou du bâtiment.

Après avoir gouté avec prudence ma boisson décidément très tonifiante, je répondis après un temps de réflexion.

Votre excellence, vous me faites bien des honneur de participer à ma démonstration!

Pour ce qui de notre problème principal...


Je repris à ce moment une gorgée de tonic décidément vivifiant!


... a y repenser, cela est vrai que l'entretien de dix milles horloges serait ruineux pour l'Empire!
La découverte et la fabrication d'un mécanisme perpétuel, car c'est bien de cela que nous parlons, n'est pas tant une question d'argent que de génie!
Mon père avait l'habitude de dire: "l'argent fabrique ce que le génie a réussi à inventer". Or vous me proposer le premier et alors que j'ai à ma disposition le second. Néanmoins, sans génie, mais surtout, sans invention, tout l'or du monde ne saura résoudre notre problème!
Je vous propose donc de garder l'argent de l'Empire pour le moment! Cet argent sera bien trop utile par la suite pour fabriquer les horloges! Je ne refuse pas une aide financière, mais celle-ci ne serra pas trop importante pour le moment!

Hmm... quant à la jalousie que pourrais apporter la mise en place de telles pièces, je compte sur vous pour qu'elle soit contrôlée! Cela serait un désastre si mes horloges devenait le nouveau sujet de querelle du peuple!

Le Ministre de l'Echiquier et de la Sûreté affichait une mine satisfaite au fur et à mesure que le maître horloger exposait son argumentaire et ce, à deux égards ; de prime abord, la proposition d'aide financière qui aurait été supportée par le contribuable n'allait pas être mise en œuvre ou pour un très faible montant ce qui permettrait de reverser le montant estimé dans des domaines bien plus nécessiteux, ensuite il fallait évidemment apprécier la conclusion du Sieur Mystel : la tentative de créer un mécanisme perpétuel aurait bel et bien lieu.

Fort de cette double avancée, ainsi que celle de voir un dossier clos autour d'un bon verre de tonic, il prit sa collation et la but d'une traite avant de noter quelques commentaires sur sa feuille vierge devenue griffonnée par endroits. Évidemment, l'espoir reposait sur la réussite de l'entreprise et la mise en place d'horloges aussi belles que fiables, à l'image d'un Empire en quête de renouveau et de luxe. Les années de guerre civile qui avaient ravagé le pays avaient causé son naufrage économique et culturel, ainsi, parvenir à embellir les gares, les ports ainsi que les relais routiers.
Par ailleurs, si ce contrat s'avérait être fructueux, peut-être serait-il renouvelé pour les différentes administrations, à savoir les préfectures départementales voire même les ministères et leurs dépendances.
Pour l'heure, il était avant tout question de remplir le cahier des charges préliminairement établi avant d'apprécier les besoin futurs.

Se redressant sur son siège ayant la fâcheuse habitude de l'enfoncer dans le creux du dossier, le Ministre sourit une nouvelle fois à son interlocuteur après un instant d'errement, recadrant ainsi sa pensée :

" Monsieur Mystel, je reste persuadé que nous arriverons à mettre en place un projet réellement productif et innovant. Votre refus d'user outre mesure les impôts perçus par l'Etat en vue de satisfaire ses exigences sera notifié à l'Empereur en personne lorsqu'il recevra mon rapport.

Quant à une possible jalousie de la part d'un tel ou tel autre, n'ayez crainte, votre travail saura être reconnu et récompensé par tout le peuple qui s'empressera de remplacer les montres à gousset par des montres bien plus fiables, ne nécessitant aucun rebours et je pense que cela sera tout à votre honneur. "

Passant une main à l'épiderme visiblement très doux sur une joue graisseuse et rosie par la chaleur et le tonic, le Ministre termina donc :

" Je vous remercie d'ailleurs d'avoir pris la peine de venir me rencontrer et je ne pourrais abuser plus de votre temps car chacun sait qu'il nous est précieux. "

Amusé par son jeu de mots qu'il savait sûrement non relevé par son invité, Etzel prit le temps de se lever, s'appuyant avec force sur les accoudoirs de son fauteuil. Son emploi du temps chargé ne lui permettait pas de temps libre, l'affaire de trahison de sa famille lui en ayant fait perdre assez comme ça.