Le Secrétaire aux Cultes rencontre le Surintendant d'Etat

Le Sieur Marvan de Lèsier, à la brillante carrière de fonctionnaire, avait été nommé Secrétaire aux Cultes par le décret impérial 2714-004 du 29 Kalamanine 2714. Depuis lors, il s'était attaché à remplir du mieux possible ses fonctions, s'appliquant à entretenir de bonnes relations avec tous les cultes quels qu'ils soient. Mais aujourd'hui, sa tâche paraissait insurmontable. Le Belondor ne pouvait plus régler le traitement prévu pour les ministres des cultes qu'ils soient zorthodoxes, syistes, novunistes, halawites ou autres... De fait, le Secrétaire avait demandé une entrevue avec le Surintendant d'Etat afin de lui demander de réclamer une rallonge budgétaire pour le Secrétariat aux Cultes auprès du Secrétariat au Trésor, lequel tenait les cordons de la bourse. En définitive, le Surintendant d'Etat aurait à s'entretenir avec l'Archichancelier d'Empire qui avait l'autorité suprême sur ce secteur de l'Etat. A l'heure prévue, le baron de Lèsier entra dans le richement décoré cabinet du président du Parti ultra-impérialiste du Belondor. Des tapisseries, des meubles finement découpés étaient foisons. Le baron, intérieurement, se dit qu'il y aurait de quoi financer une partie des dépenses de son secrétariat si le Surintendant revendait tout cela. Mais il n'en était pas question, bien évidemment. Ils débutèrent la discussion :

- Votre Excellence le Surintendant d'Etat, je vous remercie d'avoir accepté de me recevoir si vite. Vous connaissez la situation, ayant déjà reçu plusieurs notes à ce sujet. Les caisses du Secrétariat aux Cultes sont vides. L'intégration de la Germanie et l'extension du Concordat des cultes invités, réglant nos relations avec les religions minoritaires, ont fait que... ces cultes ne sont plus du tout minoritaires. Avec la Germanie, le syisme est devenu la première religion du Belondor. Désormais, nous dépensons donc bien plus pour le traitement des religieux syistes que zorthodoxes. Ces derniers sont un peu plus de 37 000 dans tout le Belondor, mais les premiers sont plus de 63 000. Ils n'étaient que 12 000 il y a un an, mais puisque la Germanie est entièrement syiste ou presque, forcément le nombre de ministres de cette religion a prendre en charge a augmenté...

Le Secrétaire savait le Surintendant zorthodoxe fervent. Son Parti ne prônait-il pas la supériorité de la zorthodoxie sur toutes les autres, prônant un statut de religion d'Etat ? Il souhaitait d'ailleurs évangéliser les "païens", hérétiques à ses yeux...

- Quoi qu'il en soit, votre Excellence, nous n'avons plus d'argent... nous avons de quoi tenir jusqu'à la mi-Nabelnine, peut-être la fin du mois, mais pour les '40 jours de Maxenine et les 5 jours de Vacancine, nous n'aurons plus de fonds. Il faut demander une rallonge budgétaire au Secrétariat au Trésor. Je vous demande donc de rencontrer l'Archichancelier d'Empire à ce propos et de plaider notre cause. Sauf si vous voyez une meilleure solution...

Les remarques du Surintendant d'Etat surprenaient le Secrétaire aux Cultes. Face à l'énervement du Sieur Batignoles, le baron de Lèsier objecta :

- Votre Excellence le Surintendant d'Etat, je crois qu'il y a une légère méprise qui emporte des conséquences extrêmement importantes sinon lourdes. Les cultes bénéficiant des aides de l'Etat ne gèrent en rien l'argent qui leur est octroyé, ce sont mes services qui versent immédiatement les traitements des représentants des différents cultes. Si les représentants syistes perçoivent une telle somme, c'est qu'ils sont extrêmement nombreux dans les territoires germains et qu'ils prennent désormais place dans le reste de notre territoire. De fait, c'est plus une question de détournement de foi, que de détournement de fonds, dont il est question.

Le Secrétaire avait le visage renfermé, grave même. Les répercussions sociales et politiques d'une décision comme celle de cesser de payer les représentats syistes mettrait le feu aux poudres. Par ailleurs, la décision ultime reviendrait à l'Archichancelier d'Empire, sûrement opposé à de telles extrêmités.

Le Surintendant d'Etat semblait crispé, comme contrarié par le fait que le baron de Lèsier ait fait cette mise au point. Il restait étrangement silencieux. Pourquoi donc ne s'exprimait-il pas ? Maintenait-il ou non sa décision de cesser de payer le culte syiste plutôt que de demander une rallonge budgétaire au Trésor ? Le Secrétaire aux Cultes, quelque peu craintif cependant, se permit néanmoins de le questionner afin de connaître les instructions qu'il lui faudrait suivre in fine en tant que subordonné du Surintendant :

- Votre Excellence... que dois-je faire au final ?

Le baron de Lèsier avait déjà les chiffres en sa possession. Il répondit alors de suite :

- Votre Excellence. Il y a en tout 63 213 membres du clergé syiste séculier (le clergé régulier syiste ne perçoit aucun traitement, pas plus que n'en reçoit le clergé régulier zorthodoxe) recevant un traitement de l'Etat, pour une population estimée à 64 millions de Syistes, puisque les 57 millions de nouveaux citoyens de la Germanie sont tous Syistes ou presque. L'immense majorité - 51 101 personne, exactement - des membres du clergé séculier syiste, constitué en immense majorité de prêtres, est située en Germanie. Les 12 112 restant le sont dans les 16 circonscription administratives d'origine et surtout là où il y a de fortes minorités syistes. Il s'agit tout particulièrement d'Elbêröhnit même - 687 personnes, du Disueluve - 1 923, des quatre départements d'Ardanie - 3 400 - et des trois départements d'Eslagne - 2 823.

Le Secrétaire ne laissa pas le Surintendant s'épancher sur ces chiffres et poursuivit :

- En définitive, c'est principalement la Germanie qui est grande pourvoyeuse du clergé séculier syiste percevant un traitement de la part de mon Secrétariat. Sa Majesté a choisi d'y appliquer le Concordat des cultes invités pour l'Eglise syiste, difficile alors de revenir dessus... c'est pourquoi je vous demande de rencontrer l'Archichancelier pour lui demander une rallonge budgétaire afin de pouvoir honorer ces traitements.

Le Secrétaire aux Cultes était gêné. Il laissa passer un temps avant de répondre :

- Votre Excellence, je crains que ce ne soit pas possible. La seule et unique solution est de réclamer une rallonge budgétaire auprès de l'Archichancelier d'Empire. Nous n'avons absolument aucun pouvoir organisationnel sur les religions et je ne peux en aucun cas de ma seule autorité réduire le clergé de n'importe laquelle des religions présentes sur notre sol.

En outre, je me permets de vous déconseiller de vouloir poursuivre dans cette optique là. Les débordements seraient inévitables et mettraient plus de 64 millions de personnes sur le ban. Sa Majesté impériale ne tolèrera sûrement pas un tel acte. Les débordements seront inévitables et nous risquerions de plonger notre pays dans une nouvelle guerre civile.

Ainsi donc le Surintendant d'Etat comptait n'en faire qu'à sa tête, peu importe les conséquences et le potentiel courroux de l'Empereur ? Quelque peu désolé par l'attitude de son supérieur alors qu'il avait pris soin depuis son entrée en fonction d'entretenir les meilleures relations qui soient avec les représentants du culte syiste - religion majoritaire dans l'Empire, en termes démographiques, le Secrétaire se leva donc, comme le lui intimait le Sieur Batignoles. Avant de partir, il dit :

- Bien votre Excellence. Nous réduirons le nombre de membres du culte syiste à 25 000 personnes, soit 1 000 par circonscriptions administratives, comme demandé. Vous recevrez un projet de décret dès aujourd'hui, charge à vous de le signer et de le publier.

S'inclinant légèrement en signe de salut, le Secrétaire sortit du bureau du Surintendant. Une fois sorti, il souffla et laissa choir sa tête. Il avait peur des conséquences de cette décision...

Trois heures plus tard, le Secrétaire revint frapper à la porte du cabinet du Surintendant d'Etat. Lorsqu'on l'autorisa à entrer, il présenta le projet de décret rédigé par les services du Secrétariat aux Cultes :

- Votre Excellence, voici le projet de décret. Vous pouvez le signer et le publier.

Pendant que le Surintendant d'Etat lisait le projet de décret, plusieurs sentiments passèrent par l'esprit du Baron de Lèsier, allant de la résignation à l'affolement - car, il en était persuadé, la promulgation d'un tel décret mettrait le feu aux poudres - et il se prenait à espérer que Tancrede Batignoles ne publierait pas cette "déclaration de guerre" aux Syistes. Tout en marchant sur des oeufs, et voyant que le Surintendant semblait réfléchir (le début d'un doute ?), il se permit alors de dire :

- Votre Excellence, quelle est donc votre décision ? Souhaitez-vous réellement publier ce décret, peu importe les conséquences que cela risque d'engendrer ?