Réapparition innattendue

Les rapports des Services impériaux d'Espionnage et de Renseignement étaient formels. Il ne pouvait y avoir de doute. L'homme en question avait pignon sur rue au Zollernberg, il avait même été nommé à la tête des fameux et pléthoriques ZZZ : les Zervices Zecrets Zollernois. Il avait l'oreille attentive du Grand-Duc Louis I^er, disait-on. Quel danger cela pouvait constituer pour la sécurité de l'Empire que de voir cet Edoral Gatline revenu d'entre les morts, lequel connaissiat bien des secrets ! Car oui, il était censé être décédé depuis plus de deux ans... Pourquoi avait-il dissimulé son départ et l'avait-il maquillé en assassinat ? Mais alors, qui était l'homme dont le corps avait été retrouvé et enterré avec les honneurs ? L'Empereur était furieux que les Services impériaux d'Espionnage et de Renseignement aient réagi avec une telle lenteur : c'était inqualifiable. Le Directeur du service, l'amiral Cédran de Vallanes en avait pris pour son grade. Mais désormais, l'Empereur savait à qui s'adresser pour connaître enfin le fin mot de cette histoire absolument rocambolesque. Appelant son secrétaire particulier, Charles Degaulle, il lui dit :

- Envoyez un message Mademoiselle Agrippine Gatline. Dites-lui qu'elle a cinq jours pour se présenter au Palais impérial de son propre chef et de son plein gré... ou bien elle sera arrêtée.

Ecosient avait pris un visage différant ces derniers jours. La baie et le port de la ville brillait par leurs inactivités. Certes, on ne pouvait pas tout mettre sur le dos de la ''flamboyante d'Ecosient'' qui avait fait délocaliser une grande partie de l'activité de son entreprise en Germanie, c'est à dire, là ou les albionnais ne se risquerait pas. C'est à dire dans la mer de Krasse (la Krazzee pour les autochtones.)

Cela dit, les espérances furent au rendez-vous. Le nouveau trajet que prenaient les navires en direction des colonies empêchaient les albionnais de se risquer à une quelconque tentative. Il leur faudrait traverser de nombreuses eau territoriaux. Et l'Albion ne voudrait certainement pas se frotter à la puissante marine zollernoise, ni à la marine avaroise, qui, à défaut de ne plus être toute jeune, reste néanmoins importante. Le seul point négatif était que le voyage aller-retour avait pris une semaine en plus. Mais ça n'était pas grand chose comparé aux bénéfices.

Alors, qu'elle ne fut pas l'étonnement et la surprise, lorsque cette missive portant le sceau de l'Empereur, fut lu à la présidente-directrice-générale. La lettre, tout en amabilités et en politesse, recelait pour le lecteur attentif, un ordre, suivi d'une menace si l'ordre n'est pas satisfait. L'Empereur sommait Agrippinne Gatline de se rendre sous cinq jours auprès de Sa Majesté sans se poser de questions et au risque de finir en prison. Pourquoi ? Rien ne le dit.

Elle se concerta avec elle-même, son petit doigt lui disant qu'il voudrait certainement savoir pourquoi elle avait délocalisé sa flotte en Germanie (ce qui ne changeait pas grand chose car restant au Belondor.)

Elle se concerta avec Ibrahim, il suggéra de l’accompagner lui et deux autres gardes du corps de son choix, au cas où.

Elle se concerta avec Bourdon, il suggéra d'acheter l'intégralité des services postaux de l'Empire (soit près de quinze milles personnes) pour faire croire que la missive à été perdu et qu'elle n'est jamais arrivé à destination et que dans le cas ou elle se ferait pincer, elle ferait en sorte de provoquer un scandale assez fort pour que tout le patronat tourne le dos à l'Empereur. Et que dans le pire des cas, une caution bien grassouillette la ferait sortir de prison en un clin d’œil.

Elle se concerta avec le conseil d'administration, les membres suggérèrent que dans le cas ou elle serait arrêter dés son arrivée pour une raison ou une autre, la Gatline Import/Export entamerait les procédures nécessaire pour quitter le Belondor et s'installer dans un autre pays, ainsi que dans une autre place financière. Et que dans le cas extrême ou l’État tenterait de tout bloquer, le département de la sécurité interviendrait. Ce que personne dans le conseil d'administration ne souhaitait réellement.

Aucune des idées proposés n’enthousiasmait vraiment Agrippinne. Dans tout les cas, ça ne sentait pas bon du tout. Après réflexion, elle décida de venir avec Ibrahim et personne d'autre, juste pour faire pression sur l'éventuelle comité d’accueil (la Garde Impériale est bien connue d'Ibrahim, notamment les éléments d'Alaïenie.) Elle se décida à affronter l'Empereur, quel qu'en soit la raison.

Elle pris le train à Ecosient direction la capitale à neuf heures du matin, elle arriva quatre heures plus tard à Elbêrönhit. Elle pris une heure pour manger dans un restaurant ou d'habitude c'était la noblesse et non la bourgeoisie qui venait. Mais Agrippinne avait des moyens, que même la noblesse n'avait pas. Elle loua ensuite une voiture en direction du palais. Devant les grilles, Ibrahim tendit le bras à l'extérieur et présenta au préposés à la garde la missive scellé, en signifiant que Madame Gatline était attendu d'urgence par Sa Majesté. Une fois sur le perron du palais, un laquais invita Agrippine et Ibrahim à le suivre jusqu'au bureau de l'Empereur.

Elle s'étonna du calme du Palais Céromine II, elle s'attendait à un endroit ou la bureaucratie régnait en maître. Eh bien non, c'était furieusement calme. Très calme. Agrippine avait beau n'avoir jamais posé le pied dans le Palais Impérial, elle s'en étonna. Cependant, elle crut distingué au loin l'imposante silhouette de la bidoche du Chancelier de l'Empire, le gros Etzel, Agrippine se dit qu'il serait peut-être temps pour lui de faire du sport. Venant de quelqu'un pratiquant la gymnastique et s'adonnant à la secte d’Épycure version féminine, cela se comprenait facilement.

Après avoir traversé un bon nombre de couloir et de pièce, elle et Ibrahim arrivèrent dans une antichambre, derrière la porte, le bureau de l'Empereur, le ''resolute desk'' comme disent les albionnais dans leur sabir dégénéré. Un dernier obstacle se dressa devant eux. Un garde impérial, l'arrière-train posé sur une chaise à coté de la porte. Il se leva et se mit devant les deux personnages, plus devant Ibrahim qu'Agrippinne.

-Madame est attendue. Seul. Déclara le garde. Ce qui ne manqua pas d'énerver l'alaïénien.

-Et qui est tu pour me donner un ordre ? Répliqua Ibrahim.

-Moi aussi on me donne des ordres, et je suis bien payé pour les exécutés.

Le garde croisa les bras, Ibrahim fit de même. Les deux hommes se fixèrent du regard, tel des chiens de faïence. La scène était un brin surréaliste. C'était presque des jumeaux, même taille, même gabarit, même moustache (à ce niveau là, la moustache, ça compte.) Seul le teint basané et la redingote noir de l'un et l'uniforme et la peau blanche de l'autre pouvait les différencier. Agrippinne tenta de calmer le jeu.

-C'est bon … J'y vais.

Agrippinne abandonna Ibrahim et le garde à leurs occupations. Le laquais et Agrippinne avancèrent jusqu'à la porte. Il frappa à la porte, il entra et annonça Madame Gatline. Elle entra, le laquais ressortit et referma la porte. L'Empereur était à son bureau. Agrippinne s'avança devant, fit la révérence. Elle brisa le silence la première.

-Sire, vous avez demander à me voir, me voici.

Pendant ce temps là, Ibrahim et le Garde n'avait pas bougé d'un pouce.

L'Empereur était assis derrière son bureau, totalement impassible, travaillant comme à l'accoutumée ses dossiers. Il ne leva même pas la tête quand Agrippine Gatline entra dans son cabinet, s'annonçant puis faisant la révérence, comme il l'était exigé par le protocole. Le Bureau impérial de la Répression insurrectionnelle lui avait rédigé plusieurs notes de services et autres rapports sur ce personnage. Il connaissait nombre de choses sur son compte. Et il avait compris la plus importante de toutes : cette femme était une louve, implacable, affairiste, prête à toute pour s'en sortir... y compris à sacrifier ses proches. C'est ainsi que l'Empereur cessa de travailler et dirigea ses yeux sur son interlocutrice. D'un signe de la main, il l'invita à s'asseoir face à lui. Se levant, il dit :

- Mademoiselle, bienvenue au Palais impérial Ceronine II. Je ne sais si c'est la première fois que vous venez... peut-être que si, après tout. Cela n'a pas empêché vos affaires d'être florissantes...

Il marqua un moment d'arrêt :

- ... et elles le seront encore plus en Germanie, je n'en doute pas.

Il fixa intensément du regard Agrippine Gatline et, bien que celle-ci était de nature impertinente et irrévérencieuse, elle baissa les yeux, de manière à ne pas offenser l'Empereur. Celui-ci, satisfait, continua alors :

- On me dit que vous êtes très famille chez les Gatline... je ne me trompe pas ?

Agrippine fut intrigué par la question de l'Empereur. Quel intérêt cela avait ? Et quel rapport avec la Germanie ? Elle feignit de répondre à la première remarque avec une pointe d'ironie

-Sire, la Germanie, c'est dans le Belondor, c'est Vous même qui l'avez démontré.

Elle marqua un temps d'arrêt, pour l'instant, rien sur son visage ne laisse à penser que la question de la famille l'eut étonné.

-Pourquoi cette question ?

L'Empereur la fixa intensément. Il lui dit alors, tout simplement :

- L'Empereur a-t-il besoin de se justifier lorsqu'il demande quelque chose ?

Elle acquiesçât le coup, espérant pouvoir fournir une riposte adéquate pour plus tard.

-Eh bien, vous en conviendrez que plus une famille compte moins de membres, plus ces derniers se rapproches les uns des autres. Moi et les miens sont dans cette situation.

Elle s'étonnait intérieurement de voir que l'Empereur s'intéressait à sa famille, ou voulait-il en venir ? Agrippine ne se risqua pas à hâter la chose, elle finirait bien par savoir la raison de sa présence ici.

L'Empereur l'examina attentivement et silencieusement. Impassible, il ne pouvait s'empêcher de se demander si elle comprenait où il voulait en venir ou bien si elle était vraiment hors de cause et ne connaissait rien de la survie du Maréchal Edorel Gatline. De toute manière, qu'est-ce que cela changeait qu'elle fut consciente ou non d'où souhaitait en venir l'Empereur ? Seule comptait la réponse, peu importe son rôle dans cette affaire bien regrettable. Il lui demanda donc simplement :

- Dans ce cas, peut-être pourrez-vous m'expliquer pourquoi le Maréchal Edorel Gatline, membre de votre famille si je ne m'abuse, a-t-il maquillé sa fuite en assassinat et sert aujourd'hui le Grand-Duc de Zollernberg, et donc les intérêts d'une puissance étrangère ?

Quand elle entendit le nom de son frère, elle pensé qu'Il allait discuter d'un éventuelle hommage (une statue, une rue à son nom), mais quand elle entendit la suite de la question, cette espoir se changea en étonnement, puis en surprise, puis au final, en colère.

-Pardon ?

...

-PARDON ?!

Elle avait haussée le ton devant l'Empereur, soit c'est une tentative de suicide, soit un aller simple pour le bagne aux fin fond de l'Ismarkie. dans les deux cas, elle était ébranlé, l'Empereur lui avait dit cela avec tant de naturel et de "normalité", que l'évidence ne semblait même plus être à prouver. Elle avait des yeux noirs et elle fixait ceux de l'Empereur, et elle était décider à ne pas regarder ailleurs tant qu'elle n'aurait pas une explication.

-Expliquez-vous !

Agrippine avait l'habitude de jouer gros, le plus souvent au casino, parfois à la bourse, mais à donner un ordre à l'Empereur et à Lui parler sur ce ton, ça devenait énorme.

L'Empereur restait impassible alors que cette furie qu'était Agrippine Gatline avait haussé le son. Il était impossible de savoir ce qu'il pensait et ressentait en cet instant. Il avait pris l'habitude, et la conservait, de se montrer extrêmement froid (certains diraient glacial) et distant en présence d'interlocuteurs. Il se passa l'index sur la bouche comme s'il jaugeait la sincérité de la surprise de son vis-à-vis. Posant calmement ses mains à plat sur le bord de son bureau, il se contenta alors de dire :

- J'ai ma réponse...

Le propos de l'Empereur, prononcé d'un ton doux mais absolument sans chaleur ou même une pointe d'agacement semblait avoir eu un effet anesthésiant sur Agrippine Gatline. Il termina en disant :

- Vous pouvez disposer. On vous raccompagnera.

Il se replongea alors dans ses dossiers.