C’était à l’heure impossible, l’heure des fous, l’heure des enfants pas sages, l’heure où tout homme sain d’esprit devrait être couché. Elles ne l’étaient, ces deux ombres qui voguaient dans la pénombre, insoumises aux préceptes qui voulaient qu’on dorme pour mieux travailler, pour mieux servir.
Au lieu de ça les voilà sur les routes, chargées d’un matériel dont nul n’aurait pu deviner le contenu. Trop subversif pour un esprit intègre, sans doute. Un phare surgit d’une rue, une voiture militaire, tout juste les deux inconnus eurent-ils le temps de se plaquer contre le mur d’une rue adjacente. Il en aurait fallu de peu pour que leur escapade vire à l’échec. Leur chance inouïe n’égalait que cette folie qu’ils avaient eu à ourdir tel projet.
Le véhicule était passé, aveugle à leurs desseins, laissant la voie libre aux deux lascars. Où allaient-ils ? En quel but malsain ? Quel arsenal cachaient-ils donc en ce sac ?
Puis enfin arriva l’objet de leur quête, ils n’avaient que peu de temps. L’un fit le guet, l’autre le crime. De son sac il sortit une "bombe" qu’il amorça contre un mur immaculé de blanc. Le sang d’une démocratie violée qui s’écoulait sur la pâleur impériale...
L’opération fut répétée par trois fois, par trois duos différents, comme ces trois pouvoirs désormais entre les mains d’un seul. Comme si ce nombre était porteur d’une quelconque chance insolente, aucun ne se fit prendre.
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Entre chien et loup, trois patrouilles démarrèrent leur ronde autour du Palais du Congrès, de la Cour Chloromée et du Palais Kalamanine. Arrivés sur les lieux du crime, les soldats se figèrent : les premiers rayons commençaient à chasser les ombres qui jusqu’à présent avaient masqué là l’acte immonde. Car il y avait là, sur ces édifices, fierté de l’Empire, une de ces peintures grossières, vulgaires, qu’on aurait pu peut-être imaginer sous les ponts de quartiers malfamés, certes, mais, ô grand Sevan, jamais sur les lieux jadis consacrés des pouvoirs législatifs et judiciaires, ou sur celui, où, dans un lointain passé, un Empereur s’était exprimé pour l’abolition de la peine de mort... Celui-là même qui établit aujourd’hui un Etat oppressif, qui se souvient encore qu’il avait aboli le symbole même de l’oppression ? Témoins du passé, vide de sens depuis le fatidique 35 Maxenine 2709.
En lettres rouge sang, trois mots qui semblaient ne vouloir rien dire : EADEM MUTATA RESURGO.